Un agriculteur de la plaine de la
Beauce s'est mis à la technique dite du « Semis
direct sous Couvert Végétal ».
On ne laboure plus. On creuse des
petits trous à intervalles réguliers dans lesquels on
dépose directement une graine. Le couvert végétal
précédant est simplement fauché et laissé
sur le sol.
Avantages : Moins de mécanisation,
donc moins de dépense de carburant. Le sol, naturellement
« mulché » garde mieux son humidité
et doit donc être moins irrigué. L'usage des pesticides,
notamment des herbicides, n'est pas forcément éliminé
mais peut être espacé. Enfin, le sol, non labouré, est moins sensible à l'érosion et rejette moins de CO2.
Enfin, cette technique favorise la biodiversité microbienne
souterraine. Même si notre connaissance de cette technique
relève encore largement de l'empirisme, des programmes de
recherche lui sont consacré, notamment par l'INRA et le CIRAD,
pour ne citer que deux organismes de recherche français. Sans
en faire une panacée, les quelques avantages constatés
plus haut suffisent pour qu'on s'y intéresse.
Mais le plus instructif dans tout ça,
c'est peut être d'aller demander aux voisins de notre
agriculteur beauceron ce qu'il en pensent, eux, du semis direct ?
« Ben, c'est bien joli tout
ça, mais il a pas les rendement qu'on a nous... »
Oui, mais comme il économise
sur le carburant, l'eau et les intrants, son compte d'exploitation
est plus favorable qu'avant, quand il labourait. Alors, est-ce que
c'est le rendement à l'hectare ou la rentabilité qui
est le plus important ?
« Ben vous savez, ici, si
vous voulez avoir un peu de prestige, il faut du rendement à
l'hectare... »
« Et puis, son champ, il est
sale... »
« Tout ces coquelicots, dans
son champ, ça fait sale... »
« Non, mais ça fait
sale... »
Comment s'etonner de cette réaction ? Pendant des générations,
le labour a été associé au labeur du paysan (ce
n'est pas pour rien que les deux mots ont une origine commune). D'où
un attachement culturel très fort au labour, et une forte
réticence à envisager un mode de production agricole
qui permettrait de s'en passer, ou au moins d'en limiter le recours.
Supprimer le labour, c'est supprimer le paysan. Dommage...
Dommage, car en entendant cette petite
histoire, je n'ai pu m'empêcher de penser à quelques
unes des leçons d'un livre époustouflant dont je vous
reparlerai bientôt, « Collapse », de
Jared Diamond (Sous titré « How societies choose to
succeed or fail » - Comment les sociétés
choisissent de réussir ou d'échouer). Il y est
notamment largement question de l'interaction entre la culture, les
traditions, et l'environnement.
Les habitants de l'île de Pâque
se sont lancés dans une course folle pour le prestige,
et ce fut à celui qui érigerait le Moai le plus
imposant, sans regarder à la dépense et notamment à
la consommation de bois nécessaire. Jusqu'au point où
toutes les ressources de l'île furent englouties dans cette
absurde compétition, entraînant l'effondrement de cette
civilisation isolée.
Les colonies Viking installées
au Groenland furent victimes de leur conservatisme, s'arc-boutant sur
leurs origines et leurs traditions européennes,
malheureusement inadaptées à l'environnement, au climat
et aux conditions de vies en milieu boréal, et refusant
d'apprendre de leurs voisins Inuits, parfaitement adaptés,
eux, à ces conditions.
Deux exemples, parmi d'autres hélas,
où des traditions inadaptées, le refus collectif
d'innover, la compétition pour le prestige et pour la frime,
entre autres motifs futiles, ont pu occulter les enjeux réels
et précipiter la chute de civilisations.
Ne nous moquons pas. Saurons nous faire
mieux ?
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