Etre porteur de mauvaises nouvelles n'est pas un boulot agréable, ni un rôle facile à endosser.
Le prophète de malheur, celui qui annonce les catastrophes à venir, est un oiseau de mauvaise augure, qu'on s'efforce de ne voir ni d'entendre, afin de profiter encore un peu de l'insouciance du moment. Mais que dire alors de celui qui vous décrit se qui se passe sous vos yeux, maintenant.
Il faut pourtant bien revenir sans cesse sur certains sujets, pour aller au delà d'une prise de conscience émergente, et surtout insister, encore et encore, sur l'urgence de passer à l'action.
L'effondrement de la biodiversité au niveau planétaire fait partie de ces mauvaises nouvelles qu'on voudrait pouvoir ignorer encore un peu. Mais les faits sont là : Quelques soient les biais d'observation et les marges d'erreur, il y a un consensus scientifique mondial pour considérer que le rythme d'extinction des espèces est actuellement de 1.000 à 10.000 fois supérieur au rythme "normal". Les espèces disparaissent avant même d'avoir été décrites ou même seulement inventoriées.
Les temps géologiques sont ponctués par 5 "extinctions de masse", la plus sévère étant celle qui a mis fin à l'ère primaire, à l'articulation entre le Permien et le Trias, et la plus médiatisée étant celle qui marque le passage entre l'ère secondaire et l'ère tertiaire, à la fin du Crétacé, et qui a provoqué la disparition des dinosaures. Or, le rythme d'extinction actuel est tel qu'on peut désormais parler d'une sixième extinction de masse. Et celle ci se déroule sous nos yeux, nous en sommes la cause principale, et elle nous concerne directement.
C'est, au delà des espèces, des écosystèmes complexes, des dynamiques d'interactions et des mécanismes régulateurs sophistiqués qui disparaissent sous nos yeux, et avec eux, leurs effets indispensables pour notre qualité de vie, comme la régulation des climats, celle du cycle de l'eau ou du cycle du carbone, la fixation des sols et, plus largement, tout ce qui entretient la résilience(1) de notre "maison commune".
Non seulement nous savons que les écosystèmes s'effondrent, mais nous savons comment, et pourquoi. Les causes majeures sont au nombre de 5 (L'ordre dans lequel je vais les énoncer ici ne doit rien au hasard, mais il est bien sur variable selon les contextes locaux et les espèces et écosystèmes considérés :
- Le bouleversement climatique en cours, et surtout le rythme auquel il a lieu, ne laisse pas le temps aux écosystèmes de s'adapter,
- La destruction des habitats, notamment la déforestation, ou encore le dragage intensif des plateaux continentaux,
- Les bouleversement induits par les espèces "invasives", introduites artificiellement par l'homme, volontairement (comme le chat ou le lapin en Australie) ou involontairement (comme la moule zébrée, introduite dans les grands lacs américains avec les eaux de ballast des cargos),
- Les pollutions chimiques et organiques persistantes,
- La surprédation (c'est notamment le cas dans les océans, où la surpêche est là une des principales causes des extinctions en cours).
La disparition d'une espèce ou la destruction d'un écosystème, par leur irréversibilité, sont en eux même dramatiques. Mais au delà, leur gravité vient aussi du fait qu'ils sont annonciateurs d'autres hécatombes, humaines celles là. De nombreuses populations dépendent directement pour leur survie des ressources qu'elles vont prélever dans la forêt ou dans la mer, et sont menacées par la surpêche ou la déforestation. D'autres dépendent de l'agriculture et sont menacées par l'érosion des sols et l'avancée des déserts. Enfin, la raréfaction de certaines ressources, notamment le bois, les produits de la pêche et surtout l'eau, laisse craindre des conflits armés pour le contrôle de ces ressources, comme ce fut le cas pour l'or, le charbon, ou comme ça l'est encore pour le pétrole.
Le rôle des prophètes de malheur, c'est de se tromper. C'est de parler suffisamment fort pour que leurs prophéties soient entendues à temps, avant qu'il ne soit trop tard.
Noé, en parcourant les rues en tenue de deuil, annonçant les désastres à venir, n'a pas été entendu des foules. Seuls quelques justes l'ont rejoint le soir dans son atelier, lui proposant de l’aider pour la construction de l'Arche, afin que "cela devienne faux". (1)
Il s'agit là bien sur d'une fable, d'une métaphore. Ce n'est pas en construisant une quelconque arche, un refuge privilégié, que nous règlerons quoique ce soit. C'est un ensemble d’actions diffuses, à tous les niveaux, qu'il faut maintenant d'urgence engager. Ce n'est pas seulement de l'engagement de quelques justes que nous avons besoin, mais d'une adhésion collective la plus large possible, et de la participation active de chacun des acteurs de la société.
Le pire peut toujours être évité, mais il ne suffira pas de se répéter en boucle, jusqu'à l'impact final : "jusqu'ici tout va bien" !
Nos connaissances sont certes encore lacunaires, mais largement suffisantes pour comprendre qu'il est temps d'agir et pour savoir comment agir. Nous savons maintenant identifier les "point de bascules", ces seuils critiques ou tout peut basculer irréversiblement. Il est maintenant urgent d'en faire l'inventaire, au plan mondial, et d’agir là où il le faut pour inverser les tendances, et restaurer les écosystèmes au profit des populations locales, et, in fine, au de l'humanité entière.
(1) : La résilience est la capacité d'un système à "encaisser les coups", et retrouver son état initial après un traumatisme.
(2) : Voir "Petite métaphysique des tsunamis" de Jean-Pierre Dupuy (Le Seuil – 2005).
Pour en savoir plus :
- La synthèse faite par l'ONG "GreenFacts.org" de l'évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assesment),
- L'article sur les "point de bascule environnementaux" dans le magazine en ligne "L'état de la planète",
Voir aussi, sur le site Noolithic :
"Pour qu'un écologiste soit élu président, il faudrait que les arbres votent".
C'est Coluche qui le disait. Le jour où les espèces en voie de disparition voteront...
No comment...
Fred
Rédigé par : Fred | 11 janvier 2006 à 16:21
on peut ajouter les mangroves, etc...
mais que faire ? Par chance je ne peux ni ne veux voyager et donc prendre l'avion, je n'ai pas de voiture et ne suporte pas la climatisation mais : je surchauffe mon logis, je bouffe donc j'achète des denrées qui ont été convoyées par la route, je mange beaucoup de poissons et autant que possible pas d'élevage. Je consomme de l'électicité par exemple en ce moment.
Rédigé par : brigetoun | 11 janvier 2006 à 22:39
Ce que tu fait, Brigetoun, c'est déjà beaucoup.
La clé c'est d'abord d'être raisonnable (on disait "frugal" au temps du sommet de Rio), dans nos compotements quotidiens. C'est de faire des choix en tant consommateurs, et comme citoyen (on a la chance de pouvoir voter et s'exprimer librement : profitons-en, ce n'est pas le cas de tout le monde). On peut ausi soutenir des assos de protection de la nature. Elles ont en France très peu d'adhérents, par comparaison avec leurs homologues en Allemagne ou en Angleterre par exemple.
La modération est le premier pas vers une réduction de notre empreinte écologique.
D'autres actions doivent ête menées, au niveau des collectivités, des entreprises, et des particuliers. J'essaierai d'y revenir souvent cette année.
J'ai aussi créé un hub sur Viaduc pour traiter ces questions, dans un contexte plus professionnel.
J'ai l'impression que les choses avances, certes encore trop lentement, mais ça va dans le bon sens. Ne baissons pas la garde !
Rédigé par : Emmanuel | 12 janvier 2006 à 08:59
N'oublions pas que la France a une responsabilité particulière concernant cette problématique avec ses Territoires et Départements d'Outre-Mer (si souvent oubliées) à travers le monde. Et pourtant au-delà des discours de bonnes intentions, elle est très en retard au regard de ses engagements internationaux et européens en matière de sauvegarde de la biodiversité. C'est triste...
Rédigé par : Dombeya | 13 janvier 2006 à 23:17
la perte de la biodiversité est inéluctable ;à cause de notre mode de consommation . je pense qu'il faut revoir notre mode de vie si non nous disparaitrons tel des dinausores ; d'un seul coup ...
Rédigé par : philou | 14 janvier 2006 à 18:49
La perte de la biodiversité est une des nombreuses conséquences du comportement de l'espèce humaine sur l'évolution de notre planète. Nous pourrons cités aussi des thèmes maintes fois abordés tels que le changement climatique ou l'épuisement des ressources; mais également des thèmes un peu moins diffusé tels que la prochaine crise alimentaire. Dans l'ensemble, lorsque nous essayons de prendre du recul, on se rend compte que l'homme signe des chèques sans provisions et accumule une dette que sa descendance ne sera jamais en mesure de rembourser.
Pour ce qui est de mon point de vue, bien que je soit jeune et que je ne soit pas un expert en environnement, j'ai tout de même voyagé dans des pays où les conséquences de notre activité sont visibles d'une année sur l'autre (au Maroc et au Congo). Mon sentiment est que le seul moyen de parvenir à inverser la tendance serait une prise de conscience brutale et collective de manière à reveiller notre instinct de survie. La difficulté est que cet instinct ne s'activera qu'après une catastrophe majeure. Alors peut être qu'il sera déjà trop tard.
Il est parfois contrariant de voir à quel point les discussions s'étalent sur la façon dont on pourrait régler les problèmes lié à notre activité. Je veux dire, pourquoi est ce qu'on essaye d'inventer de nouvelles technologies ou des produits qui consomment moins. Les solutions, on les connait.
D'une part nous sommes devenus trop nombreux. C'est une évolution normale pour n'importe quelle espece animale évoluant dans un écosystème où elle est dominante et où les ressources alimentaires ne sont pas encore épuisées. La suite logique de cette évolution (et on le constate tous les jours pour d'autres espèces) c'est l'épuisement des ressources. Lorsque ce niveau est atteint, soit l'espèce disparait de l'écosystème soit elle migre.
Dans la mesure où la planète ne peut supporter autant de personne vivant le rythme de vie des occidentaux, la solution évidente mais qui déplait, c'est tout simplement de ralentir notre rythme de vie. Je m'explique, l'obésité par exemple est une aberration de notre société. Nous savons que nous manquons de ressources et malgré tout on pousse les gens à consommer jusqu'à s'autodétruire par surconsommation. Autre chose, la société de loisir. Je ne veux pas parler des loisirs que l'on peut avoir pendant notre temps libre. Je veux parler de notre conception du loisir. De mon point de vue cela s'apparente à "nous devons avoir le choix de faire ce que l'on veux". Cela se traduit ainsi par la surproduction de produits tous à l'aspect différents, mais avec la même fonctionnalité. Je m'explique.
Comment pouvons nous entrer dans un supermarché et nous regarder encore en face en sortant. Nous ne pouvons plus nous payer le luxe de gaspiller nos produits. Chaque chose produite doit trouver sont consommateur. Il n'en faut pas plus.
Mais bien entendu, vous voyez tous où cela nous mène. Les gens auront l'impression d'une vie morose, standardisé, ultra controlée. Et nous sommes en démocratie, c'est le peuple qui décide. En résumé, la solution de serait de demander au gens de spontanément perdre beaucoup de leur confort(nous n'avons plus le temps pour les demi mesures) au profit du plus grand nombre. Cela ne ressemble t il pas à l'idéologie d'un certain Marxx. Nous savons déjà ce que cela donne.
J'en reviens donc à mon point de départ. Inventer de nouvelles technologies, construire du matériel qui consomme moins, toutes ces mesures ne serviront qu'à ralentir l'inévitable, j'entend par là l'évènement qui entrainera la prise de conscience collective de l'imminence du danger.
On peut me taxer de défaitisme, de catastrophisme. Je ne suis rien de tout cela. Je me vois comme une personne qui pense que l'homme dans sa grandeur reste soumis au lois de la nature, et surtout de sa nature animale.
Rédigé par : TARARI Younes | 30 mars 2006 à 11:38