Après avoir rendu hommage à Jean-Baptiste Lamarck et proposé un "après Darwin", la moindre des choses serait d'abord de rendre à Charles ce qui est à Charles. J'aimerai aussi revenir sur les leçons de l'évolution et ce que nous pouvons encore en apprendre.
Jean-Baptiste Lamarck fut le premier à proposer une théorie scientifique de l'évolution (l'idée que les espèces n'étaient pas fixes était déjà dans l'air à l'époque, mais outre qu'elle allait à l'encontre d'un intransigeant tabou religieux - les espèces ont été crées par Dieu telles qu'elles sont - personne n'avait d'explication à proposer au pourquoi et au comment les espèces évoluent). Sa théorie se révéla vite erronée, mais elle eu le mérite d'ouvrir une brèche dans laquelle d'autres (Darwin, Wallace, Huxley) allaient s'engouffrer.
La théorie de Lamarck, qu'on appelle le transformisme, proposait comme moteur de l'évolution la pression exercée par leur environnement sur les organismes vivants, poussant ceux-ci à s'adapter, dans leur morphologie et leur comportement, les adaptations accomplies étant ensuite transmises aux générations suivantes.
Charles Darwin, proposa lui une théorie plus élaborée, ou les pressions de l'environnement sur les populations, ou les lignées - et non les organismes - favorisaient en leur sein les individus les plus aptes à survivre et donc à se reproduire. Il ne s'agit donc plus là de transmission de caractères acquis, mais de transmission de caractères apparus aléatoirement chez quelques individus au sein d'une population, pouvant constituer un avantage compétitif.
Au passage, ni Darwin, ni encore moins Lamarck n'avaient connaissance des travaux du moine autrichien Gregor Mendel, qui fonda les bases de la génétique moderne. Aucun d'eux n'avaient connaissance des mécanismes biologiques de transmission des caractères, sinon par l'approche empirique utilisée en agriculture depuis l'antiquité pour sélectionner les variétés les plus productives.
Attention donc à ne pas réduire l'oeuvre de Charles Darwin à : "la lutte pour la vie et la survie du plus apte". Son oeuvre est immense, l'homme a gardé toute sa vie une grande modestie et une capacité d'autodérision que ne possédaient pas tout ses contemporains, loin s'en faut. Il a eu de bonnes fréquentations, comme Charles Lyell ou Thomas Henry Huxley. Je n'ai donc nulle intention de déboulonner la statue (virtuelle) du grand homme qui trône dans ma bibliothèque. Son oeuvre constitue un socle théorique solide, sur lequel nous travaillons encore aujourd'hui, plus de 150 ans après sa mort.
Le vrai malentendu concernant l'approche de Darwin sur "la survie du plus apte", vient de ce que d'autres, après lui, ont voulu étendre ce concept à d'autres domaines, à l'économie, au social ou à la culture, pour justifier des politiques de démantèlement des mécanismes de solidarité, ou relativiser la gravité de la disparition de certaines langues, certaines cultures ou certaines civilisations. "Pourquoi s'opposer à ce mécanisme naturel qu'est la sélection naturelle ?" Charles Darwin, de son vivant, s'est toujours opposé à ce qu'on applique ses travaux à d'autres domaines qu'à la biologie. Il est bon de le rappeler.
Dans l'histoire de l'évolution, l'aventure humaine et préhumaine constitue peut être un cas à part, en tout cas un de ceux qui nous fascinent le plus. La question des origines de l'homme reste à la mode, le succès des documentaires ou des livres qui y sont consacrés, et la vigueur de certaines controverses scientifiques en témoigne.
Pourquoi s'intéresser tant à cette vielle histoire, alors que nous devrions plutôt nous consacrer au présent, et plus encore à l'avenir ?
Peut être parce que, pour reprendre la formule du Prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer : "Un homme qui n'a pas de passé n'a pas d'avenir".
Se poser avec humilité ces quelques questions ne peut pas faire de mal : "Qui sommes nous vraiment ?", "D'où venons nous ?", "Comment sommes nous devenus ce que nous sommes ?" Un peu de modestie, un regard sans concession sur notre vraie nature devrait nous éclairer sur notre place dans l'histoire du vivant et notre responsabilité en son sein.
Et si la clé de l'avenir se trouvait cachée dans le passé ?
Nous sommes la mémoire et la conscience du monde. La seule espèce vivante à se poser ce genre de questions et à pouvoir décrypter le grand livre du vivant enfoui dans les roches et les fossiles.
Ce genre de réflexion devrait aussi nous aider à "injecter" la dimension du "temps long" dans notre quotidien trépidant, ce dont nous avons grand besoin. C'est peut être même le principal défi que les démocraties doivent aujourd'hui relever : "Comment prendre en compte le long terme dans les décisions politiques, alors que seule la satisfaction des attentes immédiates de la population peut donner une chance aux gouvernants d'être réélus".
Pour revenir à l'évolution, et à ce que nous enseignent les fossiles, on peut se demander de quels avantages compétitifs ont bien pu bénéficier ces gringalets d'australopithèques ou les premiers représentants du genre homo. S'il y a eu un avantage compétitif (et il y a lieu de croire qu'il y en a eu un, sinon je ne serais pas en train de martyriser mon clavier pour écrire cette note), il n'est pas visible sur les fossiles. Il y a donc autre chose qu'une évolution biologique. A un moment donné, le facteur discriminant est devenu non plus biologique, mais culturel.
La pression environnementale, couplée sans doutes à d'autres mécanismes (émergence*, coopération, mutations spontanées), par son action de sélection, à façonné le vivant depuis des milliards d'années. Depuis quelques milliers d'années, une espèce, la notre, à retourné ce processus : L'homme ne s'adapte plus à son environnement, il le transforme pour satisfaire ses besoins (ou ses envies).
La vie sociale, la culture, la solidarité, la coopération, la compassion, et vraisemblablement l'amour, ont eu un rôle déterminant dans ce que nous sommes aujourd'hui.
Chaque médaille ayant son revers, notre intelligence formidable a fait de nous des êtres cupides, arrogants, suffisants, et souvent irresponsables.
Nous sommes capables du meilleur, comme du pire. Si nous voulons que la formidable aventure de l'évolution se poursuive avec nous (car si nous n'y prenons garde, elle se poursuivra sans nous, mais il n'y aura alors personne pour la raconter), nous devons encore franchir un "saut" évolutif, pour ne garder que le meilleur de ce que nous sommes, et apprendre à vivre durablement ensemble, en harmonie avec la biosphère.
Voilà ce que j'appelle l'après Darwin, ou "Evolution 2.0" : La poursuite de l'aventure humaine ne se fera que si nous sommes capables de passer d'une culture de la compétition et de la conquête à une culture de la coopération, de la création en commun (intelligence collective), du partage, de la responsabilité, et, encore une fois, de l'amour.
* Petite précision sur cette notion d'émergence : Il n'y a pas de "loi de complexité croissante" associée à l'évolution. L'évolution se fait dans tous les sens, sans direction privilégiée. Le "mode" (la forme la plus courante) du vivant est aujourd'hui encore la simplicité, et les bactéries représentent vraisemblablement à elles seules la majeure partie de la diversité du vivant. Mais s'il y a un "mur de la simplicité" sur lequel butte le vivant, il ne semble pas y en avoir du coté de la complexité. La métaphore utilisée par Stephen Jay Gould pour expliquer l'illusion d'une tendance à la complexité croissante du vivant est celle d'un ivrogne, marchant sur un trottoir bordé d'un coté par un mur. Du coté du mur, il butte à chaque fois qu'il s'en approche, alors que du coté de la chaussée, rien n'arrête sa progression. Voilà comment sa démarche chaotique le guidera régulièrement vers le milieu de la chaussée. Les archives fossiles tendent à démontrer que la complexité est l'exception, et concerne seulement quelques lignées dans "l'éventail du vivant", et la simplicité la règle. L'émergence est un phénomène réel, mais rare. Avons nous pour autant besoin de croire que nous sommes le fruit d'une évolution dirigée pour que notre existence prenne un sens, ou peut-il nous suffire de constater que nous sommes là, que ce soit le fait du hasard ne changeant rien sur le fond à la valeur que nous accordons à la vie humaine, et à la joie d'avoir accès à cette conscience partagée.
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