Depuis quelques années, je me demandais quand ça arriverait. Des chercheurs, journalistes, observateurs l’avait relevé : Il était devenu de plus en plus difficile, sans même prendre en considération l’aspect éthique des choses, de progresser dans la recherche en biologie, tant le brevet, utilisé de manière offensive, devenait un frein plus qu’un moteur pour l’innovation dans ce domaine.
L’article de Krishna Ravi Srinivas, « La cause des biolinuxes », ou celui de Dorothée Benoit-Browaeys « Quand les brevets bloquent la recherche », et d’autres, en témoignent (voir notamment les ressources citées à la fin de ces articles, ou la bibliographie de ma thèse « Biotechnologies et développement durable »).
Certaines initiatives, comme celle de la Fondation Rockefeller, nommée PIPRA, ou une initiative commune aux organismes de recherche en agronomie en France, allaient dans le sens de la création de pools de brevet, afin d’assouplir la circulation de la connaissance.
Je précise que je n’ai fondamentalement rien contre le principe même du brevet. Dans la lettre et dans l’esprit, cet instrument de protection de la propriété intellectuelle permet d’assurer un double objectif : Protéger l’inventeur, en lui assurant une période d’exclusivité sur le fruit de son travail, censée augmenter ses chances de rentabiliser celui-ci, et assurer la diffusion de l’information, indispensable à la poursuite de la recherche et de l’innovation.
Mais ces dernières années, cet instrument est souvent utilisé de manière détournée, afin d’en faire une arme permettant de bloquer, ou en tout cas de ralentir significativement la progression de ses concurrent. L’obligation de publication était souvent elle-même détournée (Voir notamment cette discussion).
Le succès des licences de type « Open Source », dans le domaine du logiciel, et celui des licences « Creative Commons », dans le domaine de la publication scientifique, entre autres, laissaient entrevoir de possibles évolutions dans le domaine de la protection des inventions en biotechnologies.
L’enjeu est de taille : Le renchérissement de la recherche consécutif aux exigences de licences de la part de détenteurs de droits contribuait encore en accroître la fracture existant entre le nord et le sud dans ce domaine. Alors que les enjeux du sud (Maladies tropicales, aridité des sols et avancées des déserts), sont énormes et nécessitent des investissements importants en recherche dans les sciences du vivant.
Une initiative vient d’émerger, avec le lancement par Cambia de l’initiative BIOS et notamment de la licence « Biological Open Source ». Cette licence est déjà utilisée pour protéger plusieurs technologies; et permet, tout en protégeant l’inventeur d’une technologie, d’en assurer efficacement la diffusion et l’amélioration par une approche collaborative.
C’est une avancée importante, qui vient enrichir un peu plus la panoplie des instruments de protection de la propriété intellectuelle, permettant à chaque acteur des biotechnologies (Fondation, organisme de recherche public, entreprise privée), de se construire sa propre stratégie.
D’autres initiatives viendront. Comme quoi, l’innovation n’est pas limitée au champ technologique, mais aussi à l’environnement juridique qui l’entoure.
Et l’expérience du logiciel montre que plusieurs instruments peuvent coexister avec succès, permettant à de nouveaux modèles économiques d’émerger.
Il est même encourageant de voir que, pour les grands groupes semenciers et phytosanitaires, ce nouveau type de licences est bienvenu (http://www.bios.net/daisy/bios/518 ) car il ne leur ferme pas l'innovation des universités et organismes de recherche publics et qu'il leur offre un bol d'air, elles qui sont aussi étouffées par cette jungle ("thicket" comme l'a décrit Shapiro) de brevets. On peut donc parier sur sa viabilité et son succès sur le long terme.
Rédigé par : Enro | 19 septembre 2005 à 11:17
Une étude qui fait peur, parue dans la revue Science du 14 octobre 2005 :
Environ 20% des gènes humains sont explicitement revendiqués par des brevets américains. [...] Certains de ces gènes sont couverts jusqu'à 20 fois pour des usages variés et les divers SNP, lignées cellulaires et constructions contenant le gène...
On comprend alors le besoin de modèles de protection autres !
Lire l'article en entier : http://web.mit.edu/fmurray/www/papers/JensenMurray_SciencePolicyForum.pdf
Rédigé par : Enro | 04 novembre 2005 à 10:49